Un exemple : une recherche sur la notion de reconnaissance.
A titre illustratif, un plan serait la recherche de type historique : par exemple elle pourrait s’intéresser à mieux cerner les ancrages de la théorie de l’AT dans la psychologie sociale américaine, notamment GH Mead, l'une ds sources d'inspiration de Berne. Ce travail du ressort de l’histoire comparée des disciplines, avec ses exigences méthodologiques propres, pourrait s’articuler avec un travail sur le plan théorique, par exemple une recherche sur le concept de reconnaissance. Il se trouve que cette notion de reconnaissance semble connaître un regain d’intérêt (sans jamais aucune référence à Berne, ce qui nous paraît, soit dit en passant, symptomatique) chez des auteurs comme Axel Honneth (philosophe, « La lutte pour la reconnaissance »,Cerf, 2000) ou Jessica Benjamin (psychanalyste, « The bonds of love Psychoanalysis,Feminism and the problem of domination » Pantheon Books New-York-Random House-1988)qui tous deux se réfèrent à … GH Mead. Le projet "reconnaissance": plan de la recherche Le projet "reconnaissance": un exemple d'investigation de la pensée de Berne
Synthèse des occurrences des termes affiliés à « recognition » dans les écrits de Berne
Le projet "reconnaissance": un exemple de recherche de la constitution des concepts chez Berne Note de Jean Maquet Essai d’analyse du cheminement théorique de Berne dans la constitution des concepts de stimulation, de reconnaissance et autres notions afférentes
Remarque après avoir rédigé cette note : d’un point de vue de méthode, après avoir validé et complété les inflexions et ruptures identifiées, il s’agira de formuler à partir d’elle des hypothèses heuristiques.
Une remarque liminaire, hors sujet ici, mais à reprendre quelque part … : à y regarder de près, on peut affirmer au terme de cette étude des textes, que Berne aura consacré aux concepts de stimulation et de reconnaissance en tout et pour tout 6 brefs paragraphes de « AT et psy ». Même si les textes suivants, et particulièrement « Des jeux », spécifiera certains aspects de ces notions, il resteront comparables en étendue aussi bien qu’en approfondissement. Ne voit-on pas là, inscrit dans le rapport même de Berne à la pensée et à l’écriture, le protocole de ce qui serait amené, dans la postérité de Berne, à devenir une tendance à la répétition sans approfondissement d’une part, une tendance à l’adjonction ici ou là, par tel ou tel auteur, de telle nuance ou interprétation personnelle, sans qu’il y ait d’entreprise de conceptualisation de fond ? (Bien sûr ce propos ne doit pas être trop catégorique afin de tenir compte des travaux d’auteurs comme Erskine, Cornell, Grégoire, Sills … et nous-mêmes, sur le concept d’état du moi, de transaction, de contrat, …) L’étude attentive des textes écrits par Berne sur le concept de reconnaissance réserve au lecteur plusieurs surprises :
Nous avons procédé à une lecture méticuleuse de ces textes en prenant soin de repérer toutes les occurrences des termes affiliés à celui de reconnaissance :
Ce travail d’analyse des textes nous a servi à suivre d’aussi près que possible le cheminement de pensée de Berne. C’est ce que nous allons tenter de décrire à présent. Commençons par « AT et psy » puisque c’est dans cet ouvrage qu’il présente le concept pour la première fois (à vérifier …)
Première occurrence du terme stimuli Sensory deprivation Changing sensory environment Social handling and physical intimacy
Point de vue méthodologique : Berne énonce une hypothèse (« L’aptitude de la psyché humaine à conserver des états du moi cohérents semble dépendre de l’existence d’un flux de stimuli sensoriels toujours nouveaux »). Et il en fait le « fondement psychobiologique » de la psychiatrie sociale. Nous sommes donc ici dans le registre du « psychobiologique ». Berne cite comme référence un article de W. Heron « The pathology of boredom » publié dans « Scientific american » en 1957. Il ne présente pas le contenu de l’article, ni son objet, ni sa méthode, ni son domaine de référence. Il semble que l’article concerne une étude des conséquences de la privation sensorielle chez les adultes (… cf Lebovici et Soulé … et si je ne me trompe : B. L. Mijuskovic « Loneliness in philosophy, psychology and literature », qui mentionne Heron …). Il est sans doute également utile de noter ici que le problème de la cohérence des états du moi, et des facteurs dont elle dépend, était déjà une préoccupation du contemporain de Berne, et disciple de P. Federn : E. Weiss. [1] Berne aborde ensuite les travaux de Spitz. Il maintient l’hypothèse que le facteur « environnement sensoriel mouvant » est déterminant. (Pourquoi ? Voir Weiss et Spitz …) Puis il mentionne qu’un « facteur nouveau et spécifique » apparaît : : « les formes les plus importantes et les plus efficaces de stimulation sensorielle sont fournies par les échanges sociaux [social handling] et par l’intimité physique. » Berne passe donc d’un facteur de privation sensorielle à un facteur de « privation affective » (emotional deprivation). Il mentionne explicitement le lien avec le « social handling ». La formulation qu’il utilise mérite d’être relevée : « Spitz parle, par conséquent, de « privation affective » [emotional deprivation] plutôt que de « privation sensorielle » [sensory deprivation]. » On voit donc qu’il indique le glissement de registre qu’il opère ainsi : registre de la privation sensorielle, en référence à des études prenant pour objet l’adulte, au registre de la privation émotionnelle, en référence à des études sur les carences de soins chez des nourrissons soignés en institution. Berne ne thématise pas pour autant cette différence. Il ne la problématise pas non plus en élaborant une réflexion critique. Ce passage appelle une autre remarque. Berne a jusque-là invoqué le facteur de stimulation sensorielle, comme fondant la dimension psychobiologique de la psychiatrie sociale. En abordant les expériences de Spitz il se réfère aux dimensions de contact social et donc à la dimension relationnelle. Il opère donc un déplacement d’accent significatif. Dans un premier temps, il le met sur la stimulation sensorielle, l’origine de cette stimulation n’étant pas spécifiée. Or cette stimulation peut aussi bien émaner de l’environnement non humain que des interactions humaines. Dans un deuxième temps, il le place sur la dimension relationnelle. Simultanément, Berne fait entrer en jeu un autre facteur, puisqu’il joint deux notions sensiblement différentes : les « échanges sociaux [social handling] » et « l’intimité physique ». Quelle articulation fait-il entre le social (attention au sens anglais de social … Cf. une note de J Grégoire dans « Les états du moi … ») et l’intimité physique ? Ce point semble d’autant plus important au regard de l’articulation entre le réel et le symbolique, dont on verra plus loin qu’elle fait problème.
Première occurrence du terme « stimulus-hunger » Particularly stimuli offered by physical intimacy
Berne franchit un pas supplémentaire au paragraphe suivant. Il écrit : « L’incapacité de supporter de longues périodes d’ennui ou d’isolement donne lieu (gives rise) au concept de soif de stimuli, soif qui se porte surtout sur le type de stimuli offerts par l’intimité physique. » Ceci appelle deux commentaires. D’une part il semble synthétiser les données expérimentales invoquées précédemment sans toutefois faire problème de leur hétérogénéité. D’autre part, et cette fois il s’agit d’un point de méthodologie théorique, il introduit un concept : la soif de stimuli. L’articulation entre les données expérimentales et la théorie se résume à la locution verbale « gives rise ». Par comparaison, c’est un peu comme si Newton avait déclaré que la chute des corps pesants « donnait lieu » au concept de force gravitationnelle. Or un concept théorique demande à être étayé par des processus de déduction, induction, … et par une analyse argumentée des données expérimentales auxquelles il est supposé donner sens. En fait Berne préfère se situer sur un plan métaphorique. Il développe en effet la comparaison des stimuli à la nourriture, et la soif de stimuli (stimulus-hunger) à la faim de nourriture. Un tel choix comporte l’inconvénient de maintenir une équivalence non explicitée, non thématisée, entre les registres du symbolique et du réel. Rappelons-nous en effet que Berne est parti de l’importance, pour les états du moi, de maintenir un flux de stimulations sensorielles. Les états du moi décrivent la structure de la personnalité, avec sa dimension psychique. Or la faim de nourriture renvoie au fonctionnement de l’organisme physique. Ce sont là deux dimensions de l’analyse du fonctionnement de l’être humain qui demandent à être distinguées dans le cadre d’une théorie du fonctionnement psycho-logique. Ensuite Berne, en se maintenant dans le registre de la métaphore, introduit, ou peut-être devrait-on dire suggère que la satisfaction de la soif de stimuli peut donner lieu à des sensations variées. A propos du gavage, équivalant à une sur-stimulation de la psyché, il revient au registre psychobiologique. Il évoque ensuite une sensibilité individuelle aux stimuli qui serait idiosyncrasique. Arrêtons-nous sur l’importance de cette affirmation. Jusque-là Berne avait présenté le sujet dans une position passive face à des stimuli qu’il recevait. A présent il suggère une position active du sujet, marquée par ce que l’on pourrait appeler son caractère propre, singulier. Berne suggère ensuite une lecture étiologique des idiosyncrasies en question, dans le cadre de la psychiatrie sociale. (Penser à évoquer l’hypothèse d’un emprunt de Berne à M.A. Ribble (1935) … Cf. Lebovici et Soulé, B. L. Mijuskovic, …)
Première occurrence du terme « stimulation» Overstuffing has its parallel in over-stimulation, … The question of constitutional determinants of stimulation choices is not of present moment.
En effet il postule qu’elles se fondent sur les réactions spécifiques de l’archéopsyché, de la néopsyché et de l’extéropyché de l’individu. Il donne ainsi plus de corps à l’idée d’une position active de celui-ci vis-à-vis des stimuli. En effet, rappelons-nous que précédemment, au chapitre III de la première partie, Berne a introduit la nature systémique des états du moi, chacun traitant l’expérience du sujet selon se fonction propre. Il affirme alors que les formes de stimulation les plus appréciées sont représentées par les relations physiques : « … the most prized forms of stimulation represented by physical relationships ». Ceci appelle plusieurs commentaires. 1) Berne introduit un nouveau terme, celui de stimulation, qui pourrait presque passer inaperçu tant il est proche de « stimulus » avec lequel il partage la même racine. Or Berne opère ici une inflexion significative dans la mesure où il passe du terme descriptif de « stimulus » à un terme qui désigne une fonction, un processus. Or une telle fonction suppose un sujet « acteur » de la fonction, par différence avec un sujet récepteur passif des stimuli de l’environnement, au sens le plus large du terme. 2) Berne confirme la position active du sujet vis-à-vis de cette fonction de stimulation. Non seulement le sujet a besoin d’un flux de stimuli, non seulement il est sensible à telle ou telle forme de stimuli, mais il est actif dans la recherche de stimulations. 3) Berne postule que les formes les plus appréciées sont les relations physiques. Il n’argumente pas ce postulat. Or ainsi que nous l’avons indiqué précédemment il y aurait lieu de le discuter, au moins au regard de trois problématiques (?) : données expérimentales sur les adultes vs sur les nourrissons, environnement humain vs non humain, fonction de la soif de stimulation dans l’enfance vs à l’âge adulte. 4) Enfin on peut s’interroger sur la fonction de l’expression « represented by physical relationships » dans cet extrait. Pourquoi Berne n’a-t-il pas écrit simplement « physical relationships » ? L’idée de représentation invite à distinguer deux plans différents, les entités existant sur l’un étant re-présentées sur l’autre. Le discours de Berne serait-il demeuré dans le registre métaphorique, et l’auteur suggèrerait-il que les relations physiques seraient l’équivalent d’une entité à définir sur un plan symbolique ?
Toujours est-il qu’à la phrase suivante Berne introduit la dimension du symbolique.
Première occurrence du terme « reconnaissance» He learns to do with more subtle, even symbolic forms of handling, until the merest nod of recognition may serve the purpose to some extent, although his original craving for physical contact may remain unabated.
Le texte anglais dit : « He learns to do with more subtle, even symbolic forms of handling, … ». Nous voyons ainsi revenir le terme « handling » que Berne avait initialement introduit au travers de l’expression « social handling », et en citant les travaux de Spitz. On notera que le terme français « échange » choisi par la traductrice de « AT et psych » ne rend pas compte de la subtilité du terme anglais « handling »[2]. Cette remarque est hors sujet ici, mais j’en prends note tout de suite, de peur de la perdre. Noter l’importance de ce point de vue pour notre étape de re-conceptualisation : ici est clairement posé comment, chez un auteur comme W., le processus d’étayage du psychique sur le somatique est un processus dynamique, et comment la théorisation exige de rendre compte avec subtilité de la place du réel et du symbolique. Ici apparaît pour la première fois le terme de reconnaissance (recognition). Berne l’associe à une forme symbolique de handling, lequel était considéré , jusque là dans le texte, comme un mode de stimulation. On notera que cette apparition apparaît au terme d’un parcours qui a débuté avec la notion de stimulus, et qui s’est poursuivi au travers de la notion de soif de stimulus et de celle de stimulation. Berne présente significativement le symbolique comme une extrapolation, voire une asymptote, par rapport à un « handling » physique : la reconnaissance serait l’extrapolation des « formes subtiles » de « handling ». On notera aussi que Berne inscrit cette notion dans une forme de négativité : la reconnaissance serait un pis-aller, un renoncement à la stimulation physique.
Première occurrence du terme « signe de reconnaissance» (nod of recognition) On notera aussi que simultanément à l’émergence de la reconnaissance dans le discours bernien, et à son annonce comme forme symbolique, elle est présentée sous un aspect particulier : « nod of recognition » (Equivalent français de nod : hochement, signe affirmatif). Autrement dit Berne décline d’emblée la reconnaissance en termes comportementaux. Il s’agit là d’une rupture significative sur le plan méthodologique. A tel point que dans la mesure où elle n’est pas indiquée par Berne, son propos devient contradictoire. On peut également faire ici l’hypothèse d’un saut paradigmatique entre un modèle de type comportementaliste (behaviouriste) et un modèle herméneutique (psychanalytique). (A faire : voir si Berne utilise qc comme « sign of recognition » … autant « signe » en fr est un terme susceptible d’interprétations concrètes et abstraites, et suggère une notion de référence à un autre plan de réalité (signe de … sémiologie comme interprétation des signes …), autant le terme « nod » semble plus inscrit dans le concret, même si de fait tout comportement peut se prêter à interprétation.)
Première occurrence du terme « soif de reconnaissance» The stimulus-hunger, with its first order sublimation into recognition-hunger, is so pervasive that the symbols of recognition become higly prized and are expected to be exchanged at every meeting between people.
Berne dérive la soif de reconnaissance de la soif de stimuli, en recourant à une notion psychanalytique, pour la première fois dans ce texte. Il semble ainsi nettement lier la notion de reconnaissance à une lecture psychanalytique du fonctionnement psychique. Son insistance sur le fait que les deux soifs sont envahissantes pourrait d’ailleurs pousser le lecteur à compléter la lecture en faisant intervenir la notion de pulsion. On notera une certaine incohérence à parler de symboles de reconnaissance. En effet, si la soif de reconnaissance est une sublimation de la soif de stimuli, alors la soif de reconnaissance est déjà un substitut symbolique de la soif de stimuli. Les symboles de reconnaissance seraient alors un deuxième degré de symbolisation. A moins de substituer le terme de signe à celui de symbole. Sur le plan méthodologique on notera donc l’inflexion du discours bernien. Le texte sur la « theory of social contact » s’était déployé jusque-là dans une certaine autonomie de la théorie de l’AT au regard d’autres théories psychologiques. Cette affirmation doit être nuancée par la référence aux travaux de Spitz, d’inspiration explicitement psychanalytique, mais elle ne l’infirme pas dans la mesure où c’est au titre des résultats expérimentaux que Berne y fait référence et au travers de termes qui ne sont pas des concepts psychanalytiques à proprement parler (« social handling », « emotional deprivation »). Berne opère une autre inflexion, en passant du registre psychologique au registre sociologique. Précédemment sa réflexion avait embrassé la dimension psychogénétique du fonctionnement de la personnalité ainsi que la dimension du fonctionnement « actuel » de la personne adulte. A présent, armé du terme de reconnaissance, il investit un champ proprement sociologique, en amorçant une description de caractère naturaliste. En effet il évoque la grossièreté en tant que mauvaise conduite, les sanctions sociales, ainsi que diverses attitudes de communication sociale. (Cf. Article JM – Berne, naturalisme/humanisme)
Première occurrence du terme « forme de reconnaissance» Spontaneous forms of recognition such as the glad smile …other gestures, like the hiss, the obeisance, and the handshake, tend to become ritualized En première analyse Berne semble considérer comme équivalents les termes symbole et forme. Est-ce à mettre au compte d’une réflexion théorique implicite qui amènerait l’auteur à faire le choix de distinguer ces deux aspects? Ou bien cela relève-t-il d’une certaine incertitude de vocabulaire ? On se contentera ici de noter que l’emploi du terme forme est en cohérence avec le type de description naturaliste auquel Berne se livre. Le terme de symbole, en revanche, s’inscrit dans une lecture de type herméneutique, dont l’objet est de déchiffrer un sens caché sous le sens apparent. En fait Berne semble lier les deux points de vue dans l’analyse du rituel qu’il amorce ensuite. En effet il décrit des formes de rituel de salutation, justiciables d’une analyse en tant que formes de reconnaissance. Puis il décrit des niveaux de signification cachée dont ces formes seraient le symbole, comme un texte apparent répondant à un sous-texte. Notons aussi que ce faisant, Berne introduit la notion d’une intensité de reconnaissance, en fonction de la nature, de la forme, du geste verbal : « … each step implying more and more recognition. » (On notera ici que la traduction française a « écrasé » le terme « recognition » par le choix du terme français « gratification ».) Berne confirme son investissement du champ sociologique en ouvrant son dernier paragraphe par la formule : « Un grand nombre de constructions linguistiques, sociales et culturelles tournent autour de la question de la reconnaissance pure et simple (the question of mere recognition) ». (Il semblerait sous-entendre que d’autres constructions pourraient ne pas « tourner autour » de la question de la simple reconnaissance. …) Une autre inflexion est ici particulièrement remarquable. Berne énonce en effet que ces différentes formes, que l’on pourrait regrouper ici dans la catégorie du culturel, ont pour but la manifestation de la reconnaissance du statut et de la personne (« are designed to exhibit recognition of status and person. »). Berne introduit donc l’idée d’une reconnaissance qui n’est plus proprement ou exclusivement de la personne, mais de son statut. Il amène ainsi implicitement une différenciation du concept présenté a priori comme « monolithique ». La reconnaissance ne concerne plus seulement en droit, la personne, « le sujet », de la psychologie, mais aussi le « socius » (?), et particulièrement ici le statut de la personne. (Il me semble que l’on peu poser ici un coin dans l’appareil théorique bernien, dans lequel introduire une réflexion proprement sociologique, du type de celle Honneth … Pour mémoire … envisager de repérer d’autres angles de lecture sociologique : G-H Mead, Bourdieu, Boltanski, …) Dans les toutes dernières lignes de ce texte, Berne opère une nouvelle rupture méthodologique. Il passe d’une description naturaliste des formes de reconnaissance à une sorte d’analyse quantitative de la reconnaissance. D’ailleurs il y a lieu ici de rétablir le texte anglais : « The movie fan-letter is one of our indigenous products, which enables recognition to be depersonalized and quantified on an adding machine. » Et non pas : « Dans le cas des lettres que ses admirateurs adressent à une vedette la reconnaissance est impersonnelle et peut être additionnée à l’aide d’une machine à calculer. » Ce rétablissement du texte met à jour le glissement opéré par Berne d’un plan de description des formes, en référence à un point de vue de type sociologique, à un plan de quantification qui semblerait se référer moins à un domaine de connaissance qu’à une idéologie. On notera en effet la formule « one of our indigenous products ». Berne glisse des formes aux produits, et ainsi en vient à une analyse « quantificative » de la reconnaissance. Celle-ci va de pair avec une dépersonnalisation de la reconnaissance. Il y aurait lieu de distinguer la reconnaissance comme contact interpersonnel, donc personnalisé, et symbolisé, et la reconnaissance comme « interaction » dépersonnalisée. (réfléchir aux différences de sens des mots contact, intercourse, …) On notera que Berne mentionne le caractère « peu satisfaisant » d’une telle reconnaissance qu’il qualifie de mécanique. On peut s’interroger ici sur la distance critique de Berne vis-à-vis de son positionnement épistémologique. En effet, par l’inflexion qu’il vient de donner à la notion de reconnaissance, et alors que lui même l’introduit dans le champ psychologique au sujet d’une réflexion sur le « contact », il la soumet à un risque de réduction qui pourrait l’entraîner dans le sens d’une réification des relations. L’ambivalence de Berne en termes de paradigmes épistémologiques est ici manifeste (Cf. articles de BE/JG/JM/JPQ) La déclaration « The unsatisfactory nature of such mechanical recognition… » semblerait indiquer un geste de recul de Berne prenant soudain conscience du risque encouru d’avoir ouvert la boîte de Pandore. Mais sans doute une telle lecture est-elle par trop interprétative. Et à lire la phrase qui conclut le paragraphe : « This is a dramatic example of the extended validity of Spitz’s principle. », on se prend à penser que Berne viendrait en quelque sorte de se livrer dans ce chapitre, à un exercice de créativité, presque sur un mode associatif, sur la base des écrits de Spitz. On attendrait alors une phase d’élaboration proprement conceptuelle. (… un dernier commentaire qui bouclerait sur l’ensemble du paragraphe et sa place au sein du chapitre et de l’ouvrage dans son ensemble ? Ce chapitre est intitulé « Social intercourse ». Il ouvre la seconde partie de l’ouvrage, intitulée : « Social psychiatry and transactional analysis ». La première porte le titre : « Psychiatry of the individual and structural analysis ». Le premier paragraphe, qui a été l’objet de notre analyse, s’intitule : « A theory of social contact ». On notera ce terme de contact. Les deux paragraphes suivants s’intitulent : « The structuring of time » et « Social intercourse ». ) [1] Celui-ci, par exemple dans « The structure and dynamics of the human mind », chapitre XIX, « The ego states and Ego stages » (p. 134) : ‘The coherent contents and the qualities of an individuals’ self-experience are in a continuous state of flux, depending on constantly changing internal and external conditions. (…) In describing an ego state it is important to consider the ego’s relatedness to other individuals, namely, to other egos. In complete isolation from other living beings the human ego easily disintegrates. » Et la note 1 du même chapitre : « There is some evidence that absolute loneliness (i.e., isolation) is in itself a powerful stress and can produce effects similar to any extreme stress. On this point, see the contributions of John C. Lilly in the symposium : Illustrative strategies for research on psychopathology in mental health (Group for the advancement of psychiatry. Symposium 2 (1956). It must be recognized, however, that the literature cited by Lilly (dealing mainly with arctic explorers and shipwreck survivors) implies the presence of other stress-producing agents in addition to absolute loneliness. » Noter qu’en note 5 Weiss cite Spitz en appui du propos suivant, p. 141-142 : « The importance of the development of interpersonal relationships for the normal growth of the ego has been made evident by René Spitz’s interesting observations and experimental studies of infants (…). Spitz has shown that the infant has a vital need to be contacted by and related to his mother or her substitutes. Absence of the mother constitutes a dangerous lack of psychological stimulation … » Suit une synthèse des travaux de Spitz.
[2] Notons ici l’emploi de ce terme sous la plume d’un contemporain de Berne, D.W. Winnicott (1896-1971), qui allait le promouvoir au rang de concept clé dans sa théorie des premières relations mère-enfant. J’emprunte à l’article rédigé par P. Campbell, dans le Dictionnaire international de psychanalyse (vol I, p. 761) la définition suivante : « Le handling (« maniement ») est la manière dont la mère assure au jour le jour les soins physiques de son enfant, de telle façon que le bébé apprenne à connaître son enfant. Entre la mère et son enfant se crée alors nécessairement une association psychosomatique, comme s’ils formaient une seule et même entité (…). » L’auteur cite plus loin Winnicott, pour mettre l’accent sur l’articulation qui, par le biais du handling, se construit entre le psychique et le somatique: « La psyché prend possession (indwelling) du soma ».
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