vers une reconstruction du concept de reconnaissance - Illustration d'une méthode de recherche en ATIntroduction Que ce soit en français, en allemand ou en anglais, on peut constater que le terme reconnaissance (Anerkennung, recognition) dérive de connaissance (kennen, cognition). La sagesse de la langue semble ainsi indiquer un lien profond entre les processus de connaissance de soi et de reconnaissance par l’autre, et associer ainsi profondément « das Vertraute » et « das Fremde ». Les résultats de recherche que nous allons présenter nous ont d’ailleurs conduits, comme nous le montrerons, à l’idée de réintroduire une dimension dialectique dans le concept de reconnaissance en AT. Et ce n’est certainement pas un hasard si parmi les références récentes que nous citerons, figurent un philosophe-sociologue allemand et une psychanalyste américaine, qui tous deux se réfèrent à Hegel et à la fameuse formule qu’on lui doit pour désigner le mouvement du désir humain : « être soi-même dans un étranger ». Cet atelier porte sur les premiers résultats d’une recherche menée au sein d’un collectif de chercheurs analystes transactionnels qui s’est donné le nom de Fil d’Ariane[i]. Notre démarche de recherche est d’ordre théorique et s’appuie sur l’analyse des textes aussi bien que sur notre expérience pratique de cliniciens. Elle est donc de type herméneutique et non expérimentaliste. Elle se veut est à la fois fidèle à l’Analyse Transactionnelle en tant que discipline, que les auteurs entendent bien refonder là où il leur semble que des raccourcis et des approximations l’affaiblissent, et conforme à une conception psychodynamique du travail théorique. Partie 1 – Méthodologie 1 L’OBJECTIF DE LA RECHERCHE Dans notre recherche nous nous donnons comme objectif de fonder le concept de reconnaissance sur des bases assurées en termes de connaissances psychologiques et sociologiques actuelles. Cette entreprise nous est apparue en effet nécessaire au regard de quatre constats. Premièrement Berne a attribué une position centrale à la reconnaissance dans sa conception de la psychiatrie sociale, considérée comme une branche de la psychiatrie (« Analyse Transactionnelle et Psychothérapie », page 10). La structure du premier exposé systématique que Berne donne de sa méthode situe bien en effet la reconnaissance au cœur d’une « théorie des contacts sociaux », pivot entre la « psychiatrie de l’individu » (partie I) et la « psychiatrie sociale » (partie II). Or il l’a peu développée. Deuxièmement Berne aborde la reconnaissance conjointement avec d’autres notions, telles que la stimulation, la symbolisation, etc. dans une sorte de processus associatif, sans prendre toujours le soin de définir ces termes, et sans interroger de façon critique les liens qu’il semble instaurer entre elles. Troisièmement Berne se réfère à un corpus écrit de nature hétérogène, aussi bien au regard de la nature des études que de leur statut scientifique. Ce point semble d’autant plus important que nombre d’exposés didactiques de l’analyse transactionnelle se contentent souvent de reprendre et de cautionner les affirmations de Berne au sujet de ces études, sans trop de distance critique. Quatrième et dernier point : l’étayage insuffisant de la notion a souvent pour conséquence de faire perdre une qualité majeure de l’AT, à savoir son articulation entre la sphère intrapsychique et le domaine de la communication interpersonnelle. La reconnaissance est de ce fait présentée dans une dimension purement comportementaliste. Ces constats sont initialement la synthèse d’éléments de réflexion des auteurs à partir de leur pratique clinique, en tant que psychothérapeute ou intervenant en organisation, ou d’enseignant de l’analyse transactionnelle. Ils fonctionnent donc comme une inspiration fondatrice, qui doit ensuite céder le pas à une méthode d’investigation rigoureuse. TRAVAIL ANALYTIQUE ET CRITIQUE La première étape de notre recherche peut être qualifiée d’analytique et critique. L’objet de l’analyse est constitué des écrits de Berne, et éventuellement d’autres analystes transactionnels (Steiner). L’analyse proprement dite consiste d’abord à suivre scrupuleusement le cheminement des différents exposés de Berne sur la reconnaissance en étant attentif au processus même d’exposé et à la diversité de ses modalités : définition de notion, postulat, transition d’une notion à une autre, appel à des références bibliographiques, usage de métaphores, généralisations, position d’hypothèses, … Notons que les écrits de Berne étant en anglais, un travail de réflexion supplémentaire sur les glissements de sens induits par la traduction vers le français (et sans doute aussi vers d’autres langues) s’avère nécessaire[ii]. La phase critique comporte plusieurs aspects. Il s’agit d’abord de repérer les étapes du processus d’élaboration conceptuelle de Berne et d’en analyser la cohérence ou les incohérences. Il faut également situer les sources bibliographiques auxquelles il se réfère, en les consultant, autant que faire se peut, et en les analysant. Il s’agit enfin de prendre une position critique au sujet de l’utilisation qu’en fait l’auteur. IDENTIFICATION DES ASPECTS PROBLEMATIQUES DU CONCEPT Dans cette étape de la recherche il s’agit de poser les résultats de l’étape précédente et de proposer des liens avec nos hypothèses de recherche initiales. ELABORATION/RESOLUTION DES PROBLEMATIQUES IDENTIFIEES Au regard des lacunes ou incohérences qui sont apparues il s’agit alors de proposer des voies de remédiation. Cela peut consister à solliciter des travaux extérieurs à l’AT, des compte-rendus d’expérimentation ou des écrits théoriques et cliniques relevant de différentes approches, qu’ils soient complémentaires ou contradictoires, dans différents champs : d’abord psychologique, mais sans exclure a priori la philosophie, l’anthropologie, la sociologie, la physiologie. PROPOSITIONS SCIENTIFIQUEMENT ETAYEES DE TRANSFORMATION -REFONDATION DU CONCEPT Dans cette dernière étape des propositions de refondation sont faites. Notons pour conclure que ces différentes étapes sont à considérer dans une logique d’interaction systémique et non selon une logique purement séquentielle et linéaire. En effet les résultats acquis à une des quatre étapes sont susceptibles de rétroagir sur les autres étapes du processus de recherche. Partie 2 – Reconnaissance 1 Nous abordons à présent les résultats de la phase analytique et critique. L’analyse bibliographique nous a amenés à étudier les exposés de Berne sur la reconnaissance dans sept ouvrages, publiés entre 1961 et 1972 : 1961 – Analyse transactionnelle et psychothérapie, 1963 – Structure et dynamique des organisations et des groupes, 1964 – Des jeux et des hommes, 1966 – Principes de traitement psychothérapeutique en groupe, 1968 – A layman’s guide to psychiatry and psychoanalysis (réédition de The Mind in Action, 1947), 1970 – Amour, Sexe et Relations, 1972 – Que dites-vous après avoir dit bonjour ?. Il s’est avéré nécessaire de consulter également les premier écrits de Steiner, qui a apporté une contribution significative au développement de la notion : 1971 - À quoi jouent les alcooliques et Le Conte Chaud des Chaudoudoux. 1974 - Des Scénarios et Des Hommes. Nous avons étudié systématiquement les occurrences du terme reconnaissance et d’autres termes associés, dans ces ouvrages afin de suivre le développement de la notion et ses mutations. Deux constats se sont imposés à nous au terme de cette étude des textes. Le premier porte sur le peu de développements écrits de la main de Berne sur cette notion, qui occupe une place centrale dans la conception de l’AT le plus généralement diffusée. Berne, dans toute son œuvre, aura consacré aux concepts de reconnaissance et à ses extensions, en tout et pour tout six brefs paragraphes dans Analyse transactionnelle et Psychothérapie . Même si les textes suivants spécifieront certains aspects ils resteront comparables en extension et seront souvent des reprises des textes précédents, parfois sur le mode de la copie littérale. Le second est que là où le lecteur aurait pu attendre une définition du terme (ou « des termes », ainsi que nous allons le voir) et un étayage progressif du concept, il rencontre un constellation de notions liées entre elles, de façon plus ou moins étroites, et se renvoyant les unes aux autres. Reste que le résultat essentiel de cette phase de travail a été d’identifier que le concept de reconnaissance est difficile à cerner en lui-même et que Berne semble plutôt avoir esquissé une constellation de notions affiliées. Nous avons ainsi extrait les termes suivants, dans le sens de leur apparition au fil du texte de Analyse transactionnelle et psychothérapie, de Structure et Dynamique des Organisations et des Groupes et de Des jeux et des hommes : stimuli, stimulus hunger, nod of recognition, recognition, recognition hunger, symbols of recognition, forms of recognition, stroke, stroking. Dans la suite du texte, nous utiliserons l’expression « constellation reconnaissance » pour nous référer à cet ensemble. Nous avons ensuite procédé à une étude du processus d’élaboration conceptuelle de Berne dont nous allons résumer les premières conclusions, partielles dans la mesure où ce travail n’est pas encore achevé. Du même coup nous avons commencé à aborder la phase suivante prévue dans notre méthode de recherche : identification des aspects problématiques du concept. ANANLYSE DES OCCURRENCES Dans Analyse Transactionnelle et Psychothérapie[iii], Eric Berne mentionne pour la première fois le besoin de reconnaissance (« recognition hunger ») comme la forme sublimée du besoin de stimuli (page 78). Il appelle « signe de tête de reconnaissance » (« nod of recognition ») la manifestation par autrui de la réponse à ce besoin. Dans la foulée, il présente comme une observation la structuration des relations sociales autour de la question de reconnaissance, « reconnaissance à la fois du statut et de la personne ». Du coup, dans cette approche initiale, il a tendance à relier les différentes formes de reconnaissance (sourire, salutations, poignées de mains…) au domaine des rituels. Dans Structure et Dynamique des Organisations et des Groupes[iv], il accentuera ce lien et introduira le mot « stroke », défini comme « l’unité de transaction ritualisée » ou encore comme forme symbolique de caresse (p.215). Plus tard, dans Des Jeux et des Hommes[v], il revient sur la filiation de la reconnaissance au stimulus au travers du risque chez l’enfant de voir « la moëlle épinière se flétrir » en l’absence de ces caresses physiques de la mère. Il introduit à ce moment sous forme verbale le concept de stroke (« if you are not stroked, your spinal chord will shrivel up »). Il étend le concept à l’univers social (le stroking étant un acte de reconnaissance de la présence de l’autre) et introduit alors le stroke comme « l’unité fondamentale d’interaction sociale » (pp.14 et 15). Dans ses textes ultérieurs, ce sont ces mêmes définitions qui reviendront peu ou prou pour définir et circonscrire ce concept lié à la reconnaissance. Parmi les premiers élèves de Berne, Claude Steiner est sans doute celui qui s’est saisi le plus rapidement et le plus largement du concept et l’a poussé aux limites qu’on lui connaît dans l’AT classique. Si, dans À Quoi Jouent les Alcooliques [vi], il reprend la conception du stroke comme échange ritualisé (y compris dans les jeux), il insiste par la suite dans Des Scenarios et des Hommes [vii] d’abord sur l’équivalence entre les stimulations physiques et les strokes sociaux comme condition d’une survie humaine, et ensuite sur une organisation sociale de la rareté, qu’il convient de combattre en militant pour une « économie des strokes » qui suppose leur disponibilité illimitée (« « breaking down the stroke economy », p. 324). Ce faisant il prend une position politique dans la foulée de Wilhelm Reich et d’Herbert Marcuse auxquels d’ailleurs il se réfère. Sa position culminera dans le célèbre « Conte chaud et doux des chaudoudoux », dans lequel il met en scène l’utopie économique et sociale d’un monde où les caresses sont accessibles en quantité infinie[viii]. CHEMINEMENT DE LA PENSEE DE BERNE D’un point de vue théorique, et comme à la même époque un autre disciple de Federn, Edoardo Weiss[ix], Berne est d’abord concerné par la cohérence des états du moi ; c’est ce qui l’amène à examiner une hypothèse psychobiologique, qui consiste à faire dépendre cette cohérence d’un « flux de stimulations sensorielles toujours nouveaux ». Puis il passe rapidement de cette notion à la privation émotionnelle. Pour ce faire, il s’appuie sur les travaux de Spitz sur l’hospitalisme et les conséquences de cette privation chez le nourrisson. A ce stade, il opère un premier glissement de la privation sensorielle à la privation émotionnelle : le déplacement est significatif et lui permet de passer alors à la dimension relationnelle de la reconnaissance, en même temps qu’il fait se rejoindre deux notions assez sensiblement différentes, que sont les échanges sociaux (« social handling ») et l’intimité physique. Il n’indique pas ici comment cette articulation peut se comprendre, ni s’opérer. Il se contente de forger un concept, la « soif de stimuli », qu’il décrit en termes plus métaphoriques (autour de la nourriture et de la faim) que scientifiques. Dans un second temps, Berne opère un second glissement en passant des stimuli aux stimulations. En passant d’un phénomène (les stimuli) à une fonction (la stimulation), il rend le sujet (le récepteur) actif (en particulier dans la recherche de stimulations) et non plus seulement objet. C’est à ce moment qu’à propos du « handling » (et là on ne peut s’empêcher de penser à Winnicott) que Berne introduit la question des « formes symboliques » de stimulation, qui constitueraient une sorte d’extrapolation de la stimulation physique, et dont la reconnaissance serait en quelque sorte l’archétype. Cette reconnaissance apparaît d’ailleurs sous une forme particulière (« nod of recognition »), c’est à dire une manifestation comportementale. Pour expliquer l’apparition de la soif de reconnaissance, il a alors recours, pour la première fois à ce propos, à une notion psychanalytique : elle serait en effet une « sublimation » de la soif de stimuli. C’est à partir de ce dernier glissement que Berne peut investir la dimension sociale, ou sociologique. Il fait de la reconnaissance le pivot d’habitudes sociales après avoir décrit comment les rituels sociaux (salutations) comme des symboles à la fois du besoin de reconnaissance et de sa satisfaction. A ce stade, la stimulation constitue le principal matériel des rituels, d’autant qu’elle ne s’adresse plus seulement à la personne mais aussi à son « statut », c’est à dire à son (ses) rôle(s). Il ne reste plus alors à Berne qu’à opérer un ultime glissement en introduisant une dimension quantitative de la reconnaissance, qui lui permettrait d’être « dépersonnalisée et quantifiée sur une machine à calculer ». S’il mentionne lui-même le caractère peu satisfaisant et « mécanique » d’une telle conception, il ne prend pas pour autant de distance épistémologique par rapport à sa propre construction intellectuelle qui la fonde. C’est dans Structure et dynamique des Organisations et des Groupes[x] qu’au chapitre 11, Berne introduit la notion de stroke, qu’il définit comme une « unité de transactions rituelles » et l’idée d’un « stroking symbolique » qui se substituerait au seul toucher. Dans ce passage, on peut avoir l’impression que « forme symbolique » et « forme ritualisée » sont considérées comme équivalentes. A ce stade, Berne rattache le besoin de strokes à l’appétit de structure, et plus du tout à l’appétit de reconnaissance. Dans Des Jeux et Des Hommes, Berne revient sur la conception neuro psychologique qu’il a abordée dans AT et psychothérapie ; mais on peut observer que l’analyse qu’il fait des travaux de Spitz se réduit au collationnement des expérimentations, et à une interprétation en termes de fonctionnement du système nerveux, en prenant soin d’éliminer les implications et les conclusions proprement psychanalytiques de Spitz sur la relation mère-enfant. C’est aussi à cet endroit qu’il introduit pour la première fois l’usage du verbe stroker, pour signifier n’importe quelle action impliquant la reconnaissance de la présence de l’autre. Partie 3 – Méthodologie 2 Comment reconstruire une théorie de la reconnaissance en Analyse transactionnelle ? Une théorie revisitée de la reconnaissance se doit de proposer des alternatives ou des remédiations aux problématiques identifiées. En tant que fruit de notre travail, et même si nous nous efforçons de garder un regard aussi large que possible sur la démarche de Berne, nous ne prétendons pas que la définition de ces problématiques soit la seule possible. En outre, elle est sujette à évoluer au fil même de notre recherche. A ce stade nous mettrons l’accent sur le constat de trois lacunes de la théorie bernienne, qui pourrait servir d’appui pour construire la route vers une théorie revisitée de la reconnaissance en analyse transactionnelle : absence de la dimension proprement psychique, absence de lecture développementale, absence d’articulation scientifiquement argumentée des niveaux psychique et sociologique. 1. ABSENCE DE LA DIMENSION PSYCHIQUE Berne postule le besoin d’un flux de stimulation mouvant en lien avec les systèmes d’états du moi. C’est le seul lien qu’il propose entre la « constellation reconnaissance » et ce concept d’état du moi destiné dans sa théorie à décrire la structure et le fonctionnement de la personnalité. Berne a ainsi en quelque sorte obstrué l’accès à une lecture de la reconnaissance en termes psychiques. En postulant un besoin de stimulation il a mis l’accent sur la dimension du contact physique et ses conséquences physiologiques. Il a ensuite introduit la notion de reconnaissance sans s’attarder sur l’articulation entre les deux, sinon en affirmant que la reconnaissance serait à dériver de la stimulation par un processus de symbolisation. Il ne s’explique pas sur ce qu’il entend par ce terme et s’en tient à des métaphores. Sa référence à la sublimation, concept lui-même reconnu comme insuffisamment élaboré par nombre de théoriciens de la psychanalyse, au nombre desquels Freud lui-même, reste purement nominale. 2. ABSENCE DE LECTURE DEVELOPPEMENTALE A l’analyse, les références bibliographiques invoquées par Berne, s’avèrent appartenir à des registres fort différents : expériences de privation sensorielle sur des adultes, études portant sur le manque de stimulation du nouveau-né, recherches sur les rats. Berne ne propose aucune lecture critique au sujet de cette variété de registres. De fait il ne s’attarde pas sur le problème des mutations de ce besoin de reconnaissance entre la période de développement de la personnalité et la période adulte. Il prend pourtant soin d’expliquer que la soif de reconnaissance est le produit d’une genèse à partir de la soif de stimulation. Il va jusqu’à se référer à la notion psychanalytique de sublimation pour « rendre compte » de cette genèse. Cependant il ne développe pas d’analyse développementale de la reconnaissance, alors qu’il soulève lui-même l’importance de ce facteur quand il s’appuie sur des données expérimentales relatives au nourrisson d’une part, à l’adulte d’autre part. Il postule la soif de stimulation, qu’il semble considérer comme permanente et ne subissant aucune évolution au cours du développement. Ce point nous semble pourtant d’une grande importance dans le cadre de la psychothérapie. Du point de vue du diagnostic, par exemple, ou encore du plan de traitement, des questions se posent telles que : quelle place donner aux vicissitudes qu’a connu le besoin de reconnaissance dans l’histoire d’un patient ? Comment situer la satisfaction du besoin de reconnaissance dans la relation du psychothérapeute- au patient ? Sur quoi porte la reconnaissance ? Notons que Steiner a proposé une solution au problème de l’articulation avec sa théorie de l’économie de la reconnaissance. Celle-ci demandera à être située dans l’ensemble théorie de la reconnaissance. Il faudra notamment questionner les présupposés de Steiner, qui se réfère à une lecture de type socio-politique de la reconnaissance dans le cadre de sa psychothérapie radicale. 3. ABSENCE D’ARTICULATION DES NIVEAUX INDIVIDUELS ET COLLECTIFS Berne postule une articulation de la reconnaissance au niveau psychologique individuel ou dyadique, et de la reconnaissance au niveau sociologique. Il propose des hypothèses stimulantes sans pour autant les étayer théoriquement. Nous voudrions notamment souligner ici deux aspects problématiques. C’est avec la notion de « forme de reconnaissance », autre élément de la constellation reconnaissance, qu’il franchit le pas entre le domaine de la relation dyadique et celui des interactions sociales au sens large. Il opère alors un saut conceptuel en se référant à un sens du terme symbolisation différent du processus psychique qui permettrait de passer de la stimulation à la reconnaissance. Ceci ouvre un champ d’élaboration conceptuelle à venir. Avec la notion de « signe de reconnaissance », qui est un autre élément de la constellation reconnaissance, Berne s’engage dans une lecture de type clairement comportementaliste de la reconnaissance. Même si elle a connu, et continue de connaître, un succès certain dans les applications pratiques de l’analyse transactionnelle, cette notion demande à être articulée avec la notion de reconnaissance comme « reconnaissance de la présence de l’autre ». Sa facilité apparente d’application, dans l’analyse des relations et dans les pratiques d’intervention, ne doit pas nous empêcher de considérer les risques qu’elle comporte d’une lecture appauvrie de la reconnaissance dans les relations humaines. Elle laisse notamment inexplorée la dimension proprement dialectique de la reconnaissance : être reconnu c’est être reconnu par un autre que soi-même l’on reconnaît. On retrouve ici la nécessité d’articuler le niveau comportemental et le niveau psychique. Partie 4 – reconnaissance 2 Si l’on entend refonder le concept de reconnaissance au cœur de la théorie transactionnaliste, il convient de lui redonner une place beaucoup plus importante dans le fonctionnement psychique qui sous-tend le développement progressif des états du moi et qui justifie la double fonction, intrapsychique et sociale, de ces derniers. Sur ces deux points l’interaction mère-enfant, au sens de ce qui donne un sens aux émotions de l’une et de l’autre, a ouvert une voie féconde. Une psychanalyste comme Jessica Benjamin[xi] a montré comment la différentiation supposait cet équilibre entre reconnaissance de l’autre et accès au moi. L’existence est d’abord perçue comme le paradoxe de cette mise en dépendance qui, pour s’émanciper doit solliciter la reconnaissance de la personne même dont on dépend. Benjamin retrouve ici la dialectique maître-esclave développée par Hegel. Point de fragilité extrême, la reconnaissance est cette tension essentielle entre une affirmation de soi et reconnaissance de l’autre. Ainsi le besoin de reconnaissance constitue-t-il le concept qui relie le fonctionnement psychique interne (avec les incorporations, les expulsions, les identifications) et l’intersubjectif. Ce lien introduit une tension dynamique qui peut à chaque instant s’abolir si une réification de l’un ou l’autre partenaire, ou du lien de reconnaissance qui les relie, venait à se produire. Pour vivre d’égal à égal avec les autres humains, l’individu se doit de tenir cette position inconfortable. Sur les fondements du vivre ensemble, il ne semble pas possible d’ignorer l’articulation d’une philosophie idéaliste (Hegel) qui postule que l’accès à la reconnaissance passe par une perception de sa négation, avec une psychosociologie pragmatique (Mead, cité par E. Berne) qui propose une construction sociale de l’identité. Honneth[xii], indique qu’à chaque stade de la reconnaissance mutuelle (pré-juridique, juridique et sociale), le déni de reconnaissance et l’expérience intime du mépris accompagnent le développement de l’autonomie subjective de l’individu. Comme dans le texte de Benjamin, on retrouve là une nécessaire réciprocité des échanges qui permet l’introduction du contrat. Comme nous l’avons montré, Berne a tendance à glisser assez vite (trop vite) du besoin de reconnaissance à sa mise en œuvre pragmatique, qui sera poussée par Steiner jusqu’à imaginer une sorte de monétarisation abstraite et quantificatrice des unités de reconnaissance (ou strokes). Au passage, l’intersubjectif a été éliminé au profit d’une séquence d’interactions comportementales, la reconnaissance a été évacuée pour céder la place au signe (ou stroke), le symbolique a été réduit au rituel, la lutte (engendrée par le déni et l’expérience du mépris) a cédé la place stratagèmes (ou jeux) et le désir au besoin. Dès lors, il est possible de refonder le concept de reconnaissance dans l’intersubjectivité du développement psychique et dans l’accès à ce que Honneth appelle le respect de soi. Il s’agit pour lui du troisième stade de la lutte pour l’intégrité de la personne après la reconnaissance mutuelle des parents et des enfants et l’estime de soi qui suppose le droit formel (caractéristique du stade contractuel) de répondre par « oui » ou par « non » à toutes les transactions qui sont proposées. Conclusion L’étude attentive des écrits fondateurs relatifs à la reconnaissance a permis de révéler la multiplicité de notions recouvertes par ce terme. L’analyse a fait ressortir plusieurs points de fragilité dans la conceptualisation de cette constellation de notions. Nous avons proposé des pistes qui permettraient un étayage plus solide sur la base de théories contemporaines du ressort de la psychologie et de la philosophie sociale. A ce stade de la recherche, les phases d’analyse et d’élaboration des problématiques identifiées restent à consolider et nous sommes ouverts à diverses suggestions de nos confrères analystes transactionnels concernant des points de vue complémentaires ou contradictoires. Il est toutefois possible de dessiner le chantier des travaux à venir. Il pourrait se centrer sur l’objectif de proposer une définition positive de la reconnaissance, reconnue comme un concept complexe, qui intègre les contraintes suivantes : - s’insérer dans une conception intersubjective de la clinique, qui prenne en compte les ressources de différents courants théoriques de l’analyse transactionnelle, telle l’AT relationnelle, aussi bien que de corpus de savoirs extérieurs à l’AT ainsi que nous avons commencé à l’illustrer, - articuler les points de vue intrapsychique et communicationnel de la relation humaine, et pour cela s’appuyer sur la théorie des états du moi en tant que systèmes de personnalité iii, xii, - intégrer une lecture génétique de la reconnaissance, afin de permettre notamment que ce concept joue pleinement son rôle dans la démarche diagnostique et dans la conduite du processus de changement, et ce dans les différents champs de l’analyse transactionnelle. Au sein de cette théorie revisitée pourront prendre leur place des aspects de la théorie bernienne d’origine, telle la théorie des signes de reconnaissance ou la théorie des besoins de stimulation et de reconnaissance, qui sans cette mise en perspective courent souvent le risque d’interprétations ou d’applications réductrices. [i] www.fil-d-ariane.com/ [ii] C’est la raison pour laquelle les ouvrages, mentionnés dans leur version française dans le corps du texte, seront répertoriés dans ces notes dans leur version anglaise initiale. [iii] Berne, E., Transactional Analysis In Psychotherapy, Grove Press, 1961. [iv] The Structure and Dynamics of Organizations and Groups , J.B. Lippincott Company, 1963. [v] Berne, E., Games People Play, 1964. [vi] Steiner, C., Games Alcoholic Play, Grove Press, 1971. [vii] Steiner, C., Scripts People Live, Grove Press, 1974. [viii] Steiner, C., Scripts People Live, pp. 127-131 : « A Fuzzy Tale » et « Warm Fuzzy Tale » TAJ, 1971. [ix] Weiss, E., Introduction in Ego Psychology and the Psychoses, Federn, P., Basic Books, 1952 et The Structure and Dynamics of the Human Mind, Grune & Stratton, 1960. p.134. [x] Berne, E., The Structure and Dynamics of Organizations and Groups, J.B. Lippincott Company, 1963. [xi] Benjamin, J., The Bonds of Love, Psychoanalysis, Feminism and the Problem of Domination.Random House, 1988. [xi] Honneth, A., Kampf um Anerkennung: Zur moralischen Grammatik sozialer Konflikte (Suhrkamp-Taschenbuch. Wissenschaft), 2000 xii Grégoire, J. Les états du moi – Trois systèmes interactifs – Editions d’AT, 2007 |